Ah ça ira ...
Liberté est le troisième jeu de Martin Wallace publié par Warfrog (les deux
précédents sont Way Out West
et Empire of the
Ancient World, le quatrième est Age
of Steam). Autant le préciser tout de suite, c'est plutôt un
"gros" jeu (prévoyez 2h30 / 3 heures) mais après 2 parties, il me
semble c'est aussi un des meilleurs dans cette catégorie.
Comme la boite l'indique clairement, le jeu "simule" la révolution
française, grosso modo entre 1789 et 1799 et la bataille politique entre
modérés, radicaux et royalistes pour le contrôle du pouvoir.
Du bois et des cartes
En ouvrant la boite, on trouve un plateau de bonnes dimensions représentant
la France, divisées en 6 régions aux couleurs pastels (elle-même divisée en
4 ou 5 provinces), de gros carrés en bois représentant les 3 factions en jeu
(royalistes, modérés, radicaux), de gros pions en bois en 6 couleurs (une par
joueur) pour marquer les contrôles de chacun des joueurs et un paquet de cartes
(de bonne qualité) indiquant quelle faction peut être mise en jeu sur le
plateau et où. On trouve encore quelques gros pions en bois pour marquer
le tour, etc ... et des sachets plastiques pour ranger les pions.
La qualité de l'ensemble est très bonne. Quelques remarques cependant : la
boite est "nue" et ne propose aucun rangement (pas grave et
compréhensible de la part d'un petit éditeur). Dans mon exemplaire, il manque
une des 6 couleurs de pions mais c'est en cours de réparation. Plus gênant, la
couleur des cartes correspond aux couleurs des 6 grandes régions de la carte :
dans mon exemplaire, une des 6 couleurs de cartes (le sud-ouest) est clairement
différente de celle du plateau et peut être confondue avec celle de la
région lyonnaise (c'est arrivé plusieurs fois au cours de nos parties).
De plus, les indications sur le plateau et sur les cartes (il y en a peu) sont
en anglais uniquement, contrairement à tout le reste du matériel (règles,
boites, aides de jeu) qui est en trois langues (anglais, allemand, français).
Les règles tiennent sur 4 pages A4 et sont claires et précises même si pas
toujours très bien organisées (manque de sous-chapitres, à mon avis). La
traduction française est correcte mais imprécise sur quelques points (victoire
royaliste en particulier).
Des points de victoires, mais pas seulement
Le jeu se déroule en quatre tours. A chaque tour, on marque des points de
victoire soit en étant un des leaders de la faction au gouvernement, soit en
étant le leader de la faction qui finit second. A partir du second tour, on
peut gagner des points de victoire en menant le peuple de France dans une
bataille décisive (Fleurus, ...). A partir du troisième tour, on gagne
encore des points de victoire en contrôlant une des 4 régions clés (Vendée,
Lyon, Marseille, Bordeaux). En théorie, celui qui a le plus de points de
victoire à l'issue des quatre tours a gagné.
En théorie seulement car, et c'est là une des grandes originalités de
Liberté, la partie peut également se terminer de deux autres manières (à
partir du 3é tour seulement) : soit par une contre révolution royaliste (comme
ça a été le cas dans les deux parties que j'ai effectué à cette date), soit
par un raz de marée des radicaux aux élections.
J'ai l'impression que les 3 fins sont assez équilibrées (les radicaux ont bien
failli l'emporter et les deux fois, on était très proche de la fin
"normale" du quatrième tour), mais bien sur pour l'instant, les
statistiques parlent plutôt en faveur de la fin "royaliste".
Comment joue-t-on ?
- Tour de jeu : le joueur le plus avancé au nombre de points de victoires
(PV) jouera en premier et ainsi de suite. Jouer en premier est un
désavantage, cette règle joue donc un rôle d'équilibrage entre les mieux
et les moins bien placés au score.
- Distribution des cartes : Chaque joueur se voit attribuer 7 cartes au
début du jeu. Au début de chacun des 3 tours suivants, on peut compléter
sa main à 7 cartes (ou bien conserver sa main si on en a plus).
- Jeux des cartes : à son tour de jeu, chaque joueur a le choix entre jouer
une carte de sa main (+ éventuellement une carte spéciale) ou bien piocher
une carte.
Les cartes comportent plusieurs informations :
- un nombre de cube de faction (de 1 à 3) d'une des trois couleurs
(rouge, blanc ou bleu)
- un fond de la couleur d'une des 6 régions ou bien un fond vert (n'importe
quelle région) pour certaines cartes à 1 cube (rouge ou bleu
uniquement)
- éventuellement un canon, indiquant que la carte peut être utilisée
pour placer un pion au combat
- pour les cartes correspondant à une région, une personnalité avec
son nom (on retrouve Danton, Robespierre, Napoléon ...) et son type
(homme ou femme ou général). Les généraux sont utilisés pour gagner
les 3 batailles ayant lieu au 2nd, 3é et 4é tours.
En jouant une carte on peut donc placer entre 1 et 3 cubes dans une ou
plusieurs provinces appartenant à la région (il y a entre 4 et 5 provinces
par région). Les cartes à 3 cubes sont donc environ 3 fois plus puissantes
que celles à un seul cube. En plus, après avoir été jouée, les cartes
peuvent être soit défaussées, soit conservées devant soit dans la
"réserve" (qui peut comprendre au maximum 4 ou 5 cartes). Ces
cartes serviront soit à résoudre les égalités, soit à gagner la
bataille du tour si ce sont des généraux. Il y a beaucoup de types
d'égalités qui peuvent se présenter (j'en ai compté 5) et aucune ne se
résout de la même manière ce qui ne simplifie pas les règles.
Heureusement, je vous ai préparé une petite aide
de jeu. Si elles ne sont pas utilisées
pour résoudre les égalités, le joueur pourra les reprendre en main au tour suivant.
On place donc dans la réserve les cartes les plus puissantes (avec 2
ou 3 cubes).
Le placement des cubes dans les provinces obéit à des règles strictes
:
- chaque joueur peut avoir au plus une pile de cube par province,
- tous les cubes d'une pile doivent être de la même couleur,
- les piles peuvent comprendre au plus 3 cubes,
- il ne peut y avoir plus de 3 piles par province.
Les cartes qui possèdent un symbole Canon peuvent être utilisées par
le joueur pour placer un pion de sa couleur dans la "boite de
bataille" (Battle Box). Ces pions servent à gagner la bataille du tour
(et les PV correspondant).
En plus des noms sur les cartes déjà mentionnées, la répartition des
cartes donne une bonne couleur historique : d'une part un mécanisme permet
d'avoir tout d'abord en majorité des cartes à cubes blanc (royalistes) et
bleus (modérés) puis ensuite les radicaux (rouges) reviennent en masse
vers la fin du jeu, d'autre part certaines factions sont plus puissantes (possèdent
plus de cartes) dans certaines régions. Ainsi les radicaux seront a
priori plus fort sur Paris alors que les royalistes seront plus fort en
Vendée, par exemple. Tout ceci donne une petite touche historique bien
agréable.
Les cartes spéciales donnent également une touche historique. Elles
sont au nombre de 20 (sur 110 cartes en tout) et permettent par exemple
d'"exiler" un pion royaliste ou de guillotiner une personnalité gênante,
le tout sans déséquilibrer le jeu.
Alternativement au jeu d'une carte, vous pouvez décider d'en piocher
une, soit sur le dessus de la pioche au hasard, soit parmi 3 cartes qui
restent toujours visibles. Ce mécanisme a été décrié ça et là, il me
semble avec raison. Au bout de deux tours les 3 cartes visibles seront
invariablement des cartes à un bloc et tout le monde piochera à
l'aveugle.
Nous avons donc utilisé la variante
inventé par Stuart Dagger & Larry Levy. Elle a de plus l'avantage de
rendre les cartes à 1 bloc plus attractives.
Résolution de la bataille Celui qui a le plus grand nombre de pion
dans la Battle Box ET qui possède une carte général dans sa réserve
remporte la bataille. Les égalités sont tranchées par les cartes
Généraux présentes dans les réserves des joueurs.
résolution des élections Province après province, on résout les
élections. Et là il y a deux cas :
- Si une pile est la plus grande que les autres, alors le joueur qui la contrôle
prend un pion de cette pile et la place devant lui. La faction
concernée (rouge, bleu ou blanc) avance d'une case sur la piste des
élections.
- S'il y a égalité entre plusieurs piles, chaque joueur a la
possibilité de trancher l'égalité à l'aide des cartes qu'il a en
réserve. Après l'élection, TOUS les pions présents dans la province
sont enlevés.
Pour Paris, c'est un peu particulier et la faction gagnante marque en
général plus de points.
Une fois toutes les provinces parcourues, on regarde quelle faction a
gagné les élections (en cas d'égalité : les cartes de la réserve !).
Celui qui a gagné le plus de province avec cette faction (en cas
d'égalité, devinez ?) marque 5 points et le second 2 points. Le joueur qui
a le plus de pion de la faction d'opposition (celle qui a fini seconde aux
élections) marque 3 points.
Et on arrête quand ?
Normalement à la fin du 4é tour. Celui qui a le plus de points de victoire
a alors gagné.
Néanmoins, comme je vous l'ai déjà précisé, 2 autres fins sont possibles
(au 3é et 4é tours seulement) :
- raz de marée de l'aile gauche : si les rouges gagnent plus de 16 voix aux
élections, alors c'est le joueur contrôlant le plus de blocs rouges (sur
le plateau et sur les cartes) qui remporte la partie.
- contre révolution royaliste : si à un moment du jeu, une pile blanche
est seule majoritaire dans 7 provinces marquée CR (pour Contre
Révolutionnaires - 14 provinces sur 27) : c'est alors le contrôle
des cubes blancs (sur le plateau et sur les cartes) qui est primordial.
Alors ?
J'ai déjà mentionné quelques problèmes mineurs (couleurs des cartes) ou
facilement corrigeables (la pioche !). Clairement si vous cherchez un jeu court
et / ou très simple, vous n'êtes pas à la bonne adresse. Lors de mes deux
parties, les explications de règle ont duré 15 / 20 minutes devant un
auditoire attentif et les parties environ 2h30 (elles auraient duré un peu
moins de 3 heures si les 4 tours avaient été à leur fin). A partir du 2é /
3é tour, le plateau est couvert de pions, et si vous jouez avec des gens qui comptent tout (qui va gagner les élections,
etc ...), cela peut être un problème (notez que ce n'est pas arrivé pendant
mes deux parties). Les règles ne sont pas particulièrement compliquées et
très faciles en pratique à appliquer sauf pour les égalités qui nous ont
forcé à parcourir les règles plusieurs fois lors de la première partie
(utilisez mon aide de jeu pour cela).
Par contre le jeu tourne rapidement (on pioche ou on joue une carte et c'est
déjà le tour du joueur suivant).Chaque tour apporte son lot de décisions
(dois-je jouer pour la faction majoritaire ou pour l'opposition, d'un autre
coté les cartes de la pioche sont intéressantes, dois-je m'engager dans la
bataille, vais-je orienter la partie vers une des conditions de victoire
alternatives ...). Rarement je me suis senti autant impliqué dans un jeu.
Le thème y est également pour beaucoup, il est relativement bien rendu (on
n'est pas dans une simulation, néanmoins) et participe à l'ambiance. Le
matériel est splendide et les blocs (de gros carrés de bois de 2 cm et
quelques de coté) changent agréablement du petit cube qu'on échappe avec ses
gros doigts.
Liberté intègre un jeu de placement à la El Grande, autorise
quelques attaques directes (allez hop, à la guillotine) et peut également
permettre quelques négociations. La gestion de la main de cartes est également
importante. Les trois "fins" possible sont un plus extraordinaire.
Jusqu'au bout, tout le monde garde ses chances. Les joueurs qui sont devant aux
points de victoire doivent en permanence surveiller que les 2 conditions de
victoires alternatives ne soient pas remplies. A l'inverse, les joueurs largués
sur la piste des scores ont les moyens de se battre et de provoquer à tout
moment une contre révolution royaliste ou un raz de marée de l'aile gauche, ce
qui fait que le jeu reste tendu jusqu'au dernier moment.
Superbe !
(Note : Liberté est assez mal distribué en france. Si votre détaillant
habituel ne vous le propose pas, il est toujours possible de le commander dans
les boutiques en ligne. Il le mérite !
Note 2 : Liberté fait partie des jeux - Wallenstein me vient aussi à l'esprit
- qui ont souffert de sortir juste avant ou en même temps que Puerto Rico)
Olivier REIX - 10 Février 2003
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